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Le blog de Joss Beaumont
27 janvier 2012

Matzneff flingue la télé

 Intervilles

Pour gagner sa vie, avant de devenir un écrivain « infréquentable » et talentueux ce qui va souvent de pair, Gabriel Matzneff a trempé sa plume dans l’écran noir de la télévision. Entre le 29 octobre 1963 et le 20 décembre 1965, le journaliste qui, facétie de l’histoire ne possédait pas encore de téléviseur, a tenu la chronique télé de Combat. Les éditions Léo Scheer ont compilé une grande partie de cette critique virulente et érudite dans « La séquence de l’énergumène » agrémentée d’annotations récentes qui permettent de mieux cerner la pensée ou les volte-face de l’auteur. Car, il faut bien l’avouer, cette plongée dans la genèse de la télévision française, à l’époque où il n’y avait qu’une seule chaîne en noir et blanc, fait remonter à la surface des hommes politiques, des émissions, des artistes, des controverses, qui ont été complètement balayés au fil des années. Le temps a accompli sa magistrale œuvre de destruction. « Puissant un jour, néant pour toujours » pourrait résumer ce recueil de chroniques. Matzneff s’est, en effet, attaqué sans relâche pendant un peu plus de deux ans avec une obstination quasi-hebdomadaire aux hommes du pouvoir. Ces serviles employés de la censure gaulliste avaient fait de la télévision un outil de propagande et Matzneff comptait bien dénoncer leurs dérives. La télévision a toujours fasciné les différents gouvernements en place. Son instrumentalisation était inscrite dans ses gènes. Ministres, administrateurs de l’ORTF et autres cerbères assermentés se sont démenés pour contrôler cette mystérieuse boîte noire. Prés d’un demi-siècle plus tard, on peut constater que rien n’a fondamentalement changé. La télévision inspire toujours autant de basses manœuvres et d’égocentrisme grotesque. On rigole surtout lorsque le journaliste égrène le nom des personnalités qui inspiraient alors crainte et soumission. Ils ont, pour la plupart d’entre eux, disparu des mémoires. Qui se souvient de Roger Frey, Christian Fouchet, Wladimir d’Ormesson, Edgard Pisani, Jean Lecanuet et tant d’autres ? Dans les brumes télévisuelles, seul le visage d’Alain Peyrefitte se dessine timidement. Pour combien de temps encore ? Matzneff ne se faisait pas d’illusions sur les vertus éducatives ou culturelles de la télé. Son opinion était faite : « son pouvoir est totalitaire, hypnotique…Le petit écran restera jamais qu’un bocal…Dix jours sans télévision ! Une véritable cure de jouvence, cela repose les yeux, l’esprit, la plume ». On voit dans quel état d’esprit était le journaliste avant d’entamer sa chronique télévisuelle. Matzneff nous fait croire qu’il traite de la télévision du milieu des années 60 alors que tous ses papiers ne font qu’effleurer le sujet qui le barbe profondément. Il recule toujours devant l’ouvrage par peur de se salir l’esprit. Son côté dandy décadent le met à distance de cette foire aux vanités. Avant de donner son avis sur une dramatique ou une rencontre de catch, il préfère toujours citer Schopenhauer, Gorki, Nietzche, Pascal, Plutarque, Thomas Mann ou Pouchkine. Ca vole à vingt mille lieues au-dessus de la bêtise inhérente au petit écran. Si on lui dit Intervilles, Belphégor, Cinq colonnes à la Une, Sylvie Vartan ou Les coulisses de l’exploit, il répond par Venise, la littérature russe, l’église orthodoxe (l’un de ses grands combats) ou l’art d’écrire de François Mauriac. La lecture de Matzneff est spirituelle, féroce et délicieusement surannée. Ses tics de langage comme l’utilisation abusive et nostalgique d’expressions telles que « pour l’ordinaire », « ce nonobstant », « catalepsie », ses mots disparus de notre monde actuel comme l’émouvant « propédeutique » ou encore ses jeux de mots qualifiant Pompidou de « bougnaparte », nous amuse beaucoup. Et puis, on se souvient avec lui d’événements qui marquèrent ces années-là comme l’exécution du colonel Bastien-Thiry, du concile de Vatican II ou des funérailles télévisées de Winston Churchill. A distance, certains de ses coups de gueule ou de ses têtes de turcs favorites nous semblent exagérés. La mauvaise foi n’est jamais très loin. Il prend plaisir à canarder Guy Lux et Léon Zitrone, à fustiger Maurice Chevalier dansant le twist ou à frapper sur la tête du pauvre Albert Raisner (qu’il écrit parfois Reisner), l’animateur d’« Age tendre et tête de bois ». Dans ses annotations en bas de page, Matzneff regrette presque ses attaques virulentes contre le charmant Raisner qu’il rencontra plus tard et qui «lui témoigna beaucoup de sympathie, d’admiration, et ne fit jamais la moindre allusion aux horreurs qu’il avait écrites sur lui ». En fait, rien n’horripile plus Matzneff que la vulgarité des yé-yé ou les niaiseries du Sacha show. On le trouve aussi injuste avec Adamo qui « dans le mauvais et le grotesque est quasi-insurpassable ». Il avoue aujourd’hui : « je n’avais nul souvenir d’avoir tant brocardé Salvatore Adamo. Sa chanson Vous permettez, monsieur, que j’emprunte votre fille m’a toujours bien plu et je m’explique mal cette injuste sévérité. Mea culpa ». Matzneff est comme tous les grands intellectuels, son discernement sur les choses populaires est parfois troublé. Mais Matzneff ne fait pas que taper sur les idoles du petit écran, il nous fait également partager ses coups de cœur qui sont nombreux et éclectiques. Il a apprécié ainsi la prestation de Michel Bouquet dans le rôle de Charles 1er d’Angleterre, la grâce de Zizi Jeanmaire, la moue de BB, la voix de Maurice Ronet, les sketchs de Fernand Reynaud ou la troublante Alice Sapritch dans La Cousine Bette d’après une adaptation de Jean-Louis Bory sans oublier le feuilleton « Rocambole » ou la présence de Rita Cadillac dans une émission.  Matzneff a surtout été fasciné par un homme qui passait à la moulinette les bébés, un des génies créateurs de la télévision dont l’inventivité bluffait le journaliste. Jean-Christophe Averty surplombe assurément le paysage audiovisuel français des années 60. Plus que l’apparition de la seconde chaîne ou les premiers tests de télé en couleur ou même l’élection présidentielle de 1965, c’est Averty qui sort grandi de ce recueil. Matzneff n’était pas tendre avec la télé de son temps, il lui reprochait sa médiocrité intellectuelle, sa glorification des bas instincts et son emprise sur les masses. Et pourtant, à bien regarder la programmation des années 63-65, cette télé tellement conspuée, à la merci du pouvoir, nous semble aujourd’hui un lieu de création artistique, d’audace et d’enchantements.

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