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Le blog de Joss Beaumont
4 novembre 2012

Cinquante nuances de plaisir

Thémidore

Erotisme à l’américaine ou libertinage à la française

On savait l’Amérique au bord de la crise de nerfs. Grand pays infantile où le moindre téton turgescent dévoilé à la télévision provoque l’hystérie des mères de famille. A observer leurs mœurs rétrogrades, on est partagé entre le sourire et l’accablement. Puis, âme charitable, on les plaint de vivre dans cette schizophrénie perpétuelle, cette affreuse confusion mentale faite de puritanisme et d’exhibitionnisme. Pays à la fois de la fesse triste et de l’industrie pornographique florissante, l’Amérique ne sait plus à quel sein se vouer. La sortie planétaire  de « Cinquante nuances de Grey », le roman de EL James en est une pathétique illustration. Que retrouve-t-on dans cette œuvre censée raviver la sexualité des femmes mariées ? Un anti-manuel du petit bricoleur érotique, cravache, gode, menottes et fessée à l’usage des épouses en manque d’orgasmes. L’Amérique ne nous déçoit jamais dans sa représentation grotesque et attardée des rapports intimes, du plaisir, de la place des femmes et de son inévitable apologie de la société marchande. C’est aussi réactionnaire que risible. Ne parlons même pas ici du style, négation totale de l’acte littéraire, simplification à outrance du discours et de la pensée, nous assistons à la naissance du « junk-book ». Alors, par souci d’information et d’émancipation, nous aimerions enlever la camisole de force qui drape l’honneur d’une Amérique aussi peu experte sur les choses de l’amour. Il serait bon que les américains (re)découvrent les vertus de l’irrévérence, de la transgression, du raffinement et tout simplement de la liberté. Pour les éclairer sur les tourments et les délices de la chair, nous leur conseillons vivement la lecture d’un court roman libertin paru en 1745 et republié cet automne par la petite vermillon. Thémidore ou Mon histoire & celle de ma maîtresse est l’œuvre d’un certain Godard d’Aucourt né à Langres en 1716 qui fut fermier général, puis receveur général des finances à Alençon. Guy de Maupassant qualifia ce roman de chef d’œuvre, il écrira même que Thémidore est « un vrai miroir enfin de la débauche spirituelle, élégante, bien née et bien portée de cette fin de siècle amoureuse ». EL James peut remballer sa quincaillerie et son fatras idéologiques. Godard d’Aucourt place le plaisir au pinacle, chez lui, les femmes ne sont pas des instruments dociles mais de véritables dévotes de l’amour physique. Les honnêtes hommes qui ont le cœur noble reconnaissent en elles des âmes pures, les seules capables de déclencher les abandons sincères et les jouissances extrêmes. Godard d’Aucourt vous évitera les descriptions anatomiques, absurdes et indélicates, de l’acte en lui-même, le garçon a des lettres et un style « grand siècle », tournures suaves où la profondeur des sentiments et des opinions crépitent sur plus de cent cinquante pages. Le charme de d’Aucourt réside dans son art de la périphrase, il effleure, il contourne, il suggère sans jamais se perdre dans la banalité friponne. C’est un exploit littéraire que de retenir son souffle sans faire suffoquer le lecteur. Au contraire, on suit avec passion les aventures de Thémidore, un  jeune conseiller au Parlement qui s’éprend de Rozette, une adorable libertine. Son père qui désapprouve cette chamade, fait enfermer la belle au couvent de Sainte-Pélagie, se met alors en place un roman d’espionnage pour la faire libérer. Quiproquos, déguisements, mensonges, conquêtes à la hussarde, Thémidore use de toutes les malices pour arriver à ses fins. C’est joliment écrit, habilement emmené et sur le fond, féroce de lucidité sur les mœurs de l’époque. Les ecclésiastiques ne sont pas épargnés à l’image de M. le Doux, confesseur ordinaire du père de Thémidore : « il tire beaucoup d’argent de mon père pour les pauvres, entre lesquels je crois qu’il se met au premier rang, et pour plus d’une part ». Superbe démonstration d’équilibre et de persiflage. La noblesse en prend également pour son grade à propos d’une intrusion chez l’habitant en pleine nuit : « c’est la première fois qu’une visite de gens de robe ait apporté de l’argent dans un logis ». Godard d’Aucourt n’a pas son pareil pour railler les puissants et surtout insuffler la passion amoureuse : « De la morale au plaisir, il n’est souvent qu’un pas » ou « Pourquoi la nature a-t-elle borné nos forces, et étendu si loin nos désirs ? ». Quant au portrait de sa tendre amie : « Prude par accès, tendre par caractère, dans un moment son caprice vous désespère ; dans un autre sa passion vous enivre des idées les plus délicieuses », comment ne pas tomber sous le charme ? Vous comprendrez que l’on préfère la compagnie de Rozette sous Louis XV que d’une héroïne américaine formatée sous Obama.

 

« Thémidore ou Mon histoire & celle de ma maîtresse » de Godard d’Aucourt – la petite vermillon

 

 

           

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