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Le blog de Joss Beaumont
26 novembre 2012

Mélancolie-sur-Oise

 

AufildeCreil

Philippe Lacoche, Creillois d’honneur

Un livre publié avec le soutien d’un Conseil régional fait toujours froid dans le dos. On s’attend à je ne sais quel panégyrique administrato-culturel financé par l’Office du tourisme municipal et la société des gens de lettres du coin. Terrifiant cocktail où des professeurs à la retraite et des bibliothécaires bénévoles dégoûtent à jamais de la lecture des générations de collégiens en rut. En plus, quand l’ouvrage « Au fil de Creil » publié au Castor Astral concerne une ville de l’Oise, on imagine déjà la misère sociale dévalée sur les plaines d’un paysage à l’abandon. Toute commune se situant au nord de la Loire me donne toujours le bourdon. J’y entrevois de lugubres desseins, cohorte de prolétaires s’adonnant aux boissons anisées, bourgeoisie vicelarde, jeunesse à la dérive, désolation en cascade sur fond de ciel gris souris. Perspectives boschiennes à la pelle. J’attribue ces désenchantements à mes lectures de jeunesse, Eugène Sue et Francis Carco en tête. Claude Chabrol m’ayant définitivement dégoûté de la quiétude provinciale. Mais quand le nom d’une commune, Creil en l’espèce, est associé à un écrivain de tradition hussarde, Philippe Lacoche, je ravise mon jugement. Dorénavant, cette municipalité de 34 753 habitants qui m’était jusqu’alors inconnue, troisième ville de l’Oise, terre d’immigrations et de faïence, cité de culture et creuset ouvrier, me fascine. Cette admiration soudaine, je la dois à Philippe Lacoche qui se révèle être, au fil des années, un nouvelliste de très grand talent. Plume aérienne, construction rapide, tempo transalpin, pour les amateurs de motocyclettes italiennes, vous reconnaîtrez cette musique à deux temps, frénétique et nostalgique, que l’on retrouve sur l’étincelant Lambretta TV 175. Un riff diabolique où se mêlent légèreté des corps et sourde tension sociale. Les revues littéraires, toujours promptes à dénigrer la production nationale, nous bassinent avec le génie américain du court. Selon eux, nos écrivains français ne savent pas écrire des nouvelles. Lacoche, le picard, lave cet odieux affront. Il le fait même avec tendresse et panache. Creil peut le remercier, il instille du romanesque dans les rues de cette ville ce qui vaut tous les centres sociaux-culturels « collaboratifs et multi-générationnels » comme les vendent nos (très) chers technocrates. Nous aimons les écrivains qui, sans renier leur fibre populo, ont conservé des goûts littéraires sûrs, j’oserais presque dire d’élite. On ne peut s’empêcher en lisant ce percutant recueil de nouvelles de pister les multiples influences de Philippe Lacoche. Dans « Prunelle, brune incendiaire », il lance une danseuse à la recherche d’un soutien-gorge en bois sur-mesure pour satisfaire la libido d’un afghan amateur de seins d’acier, Lacoche flirte ici avec la fantaisie de Marcel Aymé et la gauloiserie d’Alphonse Boudard. Sur un mode humoristique et désespéré (pléonasme), Lacoche tire à vue sur la bien-pensance intellectuelle, il s’inscrit pleinement dans l’héritage hussard d’un Jacques Laurent sans toutefois occulter la lutte des classes chère à Roger Vailland. Je vous conseille de lire « L’enlèvement d’Albert Jacquard » où deux salariés au bout du rouleau et passablement avinés tentent de kidnapper le polytechnicien humaniste. Délicieux dénouement et constat accablant sur notre société médiatique. Chez Lacoche, il y a du Fallet et du Eric Burdon pour son amour de la pêche et du rock. Un ouvrage à déguster sans modération qui vous décidera à visiter Creil (à seulement 35 mn de la Gare du Nord).

 

Au fil de Creil – Philippe Lacoche – Le Castor Astral

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