Pourquoi les écrivains de droite avaient du style ?
Aymé, Blondin, Nimier, Laurent, Perret, Mohrt, Morand, Déon, etc… Nous pourrions continuer comme ça la liste des réfractaires comme les appelle Bruno de Cessole dans son merveilleux Défilé (qui vient de reparaître dans la collection tempus aux éditions Perrin) ou des désenchantés comme les nomme Alain Cresciucci. La gauche humaniste peut manifester, les étudiants se réunir en AG, les professeurs convoquer un conseil de discipline. L’écrivain de droite (jusqu’aux années 80) avait du style, c’est un fait irréfutable, historique. Après les Trente Glorieuses, l’écrivain de droite s’est financiarisé, il a voulu rentabiliser son investissement littéraire, toucher sa part du gâteau. Il avait la volonté de s’en sortir, de ne pas rester un anonyme, un obscur tailleur de mots. Il a perdu ce qui faisait tout son charme réactionnaire, ses emballements de vieux con, sa langue travaillée, son vocabulaire oublié, sa force lyrique, sa mélancolie lancinante, son phrasé intime, ses peurs d’enfant. A l’exigence, l’original, le fracassant, il a préféré le marketing, le commun, le bêtifiant. Aujourd’hui, l’écrivain de droite n’existe plus, c’est une chimère, il forme un même ensemble mou, flou avec son homologue de gauche. Ils partagent les mêmes théories bidons, l’expansion économique, la croissance comme seule phare de l’Humanité, l’universel au détriment de l’individuel. En réalité, ils prônent l’appauvrissement généralisé et le déshonneur qu’ils appellent entre eux le progrès et la modernité. Gare à ceux qui osent mettre en doute leurs belles âmes réunies, sous des allures de démocrates débonnaires, ils peuvent se montrer féroces. De vrais tyrans qui auront les moyens de vous faire taire. Avant ce grand melting-pot culturel, l’écrivain de droite avait des manières d’anar, de dandy déclassé, d’aristo fauché. Il écrivait à l’ancienne, à la hussarde, ne s’embarrassait pas de raisonnements pompeux, de théories savantes, il jouait perso, montait dans la surface de réparation et tirait droit au but. Les coups de sifflet de l’arbitre et les insultes du public ne l’arrêtaient pas. L’écrivain de droite était un révolutionnaire, une forte tête, il désobéissait sans cesse, refusait les cases bien établies, les hiérarchies honteuses et les compromissions d’état. Il était soupe au lait, on l’aimait pour son tempérament volcanique. Il allait toujours à contre-courant, quand l’université se pâmait devant le nouveau roman, il redécouvrait Céline et Morand, quand Sartre imposait son magistère moral, il ressortait les vieilles histoires de l’Occupation et ses résistants d’opérette. L’écrivain de droite ne croyait pas aux héros modernes. Il était sevré depuis la défaite de 40. Ses modèles, il fallait les chercher du côté des Mousquetaires, des bandits de grands chemins, des irrésistibles vamps. Cette nature instable charmait le public et inquiétait les élites. Son style était à son image. Il n’avait pas comme son confrère de gauche, un message à déclarer, une ode aux peuples opprimés, il ne chantait pas les louanges de la fraternité. Il était libre donc dangereux. Libre d’écrire ce qui lui passait par la tête, libre de rouler à 200 km/h, libre d’aimer, libre de trouver son époque déplorable, lamentable. Il ne se privait pas pour cracher sur les institutions et la faiblesse des hommes. L’écrivain de droite ne pardonnait rien. Aucun parti ne surveillait sa prose. Souvent, il payait cher son irrévérence, sa misogynie, son snobisme, son aversion de la foule. L’écrivain de droite n’était pas dans la transmission des valeurs. Il opérait dans le champs de l’immoral. Quand l’écrivain de gauche se regardait dans la glace et se trouvait terriblement beau et bon, l’écrivain de droite ne supportait pas son reflet. Il se trouvait laid, son imperfection ne le rendait que plus humain.